(EcoFinances) – La subvention à l’aveuglette des carburants et du gaz domestique, le choix de la politique de l’import-substitution, et la préférence marquée pour les dépenses de fonctionnement en comparaison à celles d’investissement public vont certainement compromettre les chances du Cameroun d’être émergent à l’horizon 2035 si des mesures de sauvetage ne sont pas prises dans l’urgence. C’est ce qu’indique l’ingénieur financier Babissakana dans une lettre de réforme qu’il a adressée la semaine dernière au président de la République, Paul Biya, et abondamment relayée par la presse.
« La combinaison des trois (3) choix gouvernementaux ci-dessus identifiés et constatés révèle clairement une déviation stratégique majeure traduisant de fait un statut très précaire, dévalué et sans réelle portée opérationnelle de la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30) pourtant préfacée par le Premier ministre, chef du Gouvernement, Chief Dr. Joseph Dion Ngute, et postfacée par le ministre de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat), Alamine Ousmane Mey », déclare le Chairman et CEO du cabinet Prescriptor Ltd.
Qui ajoute : « Parmi les objectifs stratégiques de la SND30, il a été arrêté comme objectif principal de porter le taux de croissance annuel du PIB (Produit intérieur brut) de 4,5% à 8,1% en moyenne sur la période 2020-2030 soit onze (11) ans. Sur les trois (3) premières années 2020-2022, le taux de croissance moyen n’est que de 2,6% donc très loin de 8,1%. La projection à structure économique similaire situe la croissance du PIB à une moyenne de 4,9% à l’horizon 2027, c’est-à-dire à peine la moitié de la cible de croissance visée ».
La subvention des carburants s’apparente au gaspillage
D’après le Chairman et CEO du cabinet Prescriptor Ltd, le choix de subventionner les carburants même pour un grand nombre de consommateurs professionnels, riches et capables de payer les prix du marché « s’apparente à un gaspillage sans précédent et est profondément contestable aussi bien du point de vue du coût d’opportunité allocative des ressources publiques rares ». Tout comme ce choix du gouvernement est, apprend-on, détestable parce qu’il est contraire au Plan industrie de l’énergie de la SND30 qui a pour objectif de produire l’énergie en quantité abondante pour améliorer le cadre de vie de la population, satisfaire l’industrialisation du Cameroun et devenir un pays exportateur d’énergie. « S’agissant des carburants, ce plan comprend le Programme Gaz Naturel pour Véhicule (GNV) qui permettra, au regard des ressources gazières importantes du pays, de diviser la facture des carburants par huit (8) tout en réduisant substantiellement les importations des carburants et lubrifiants (qui représentent jusqu’à 16% des importations en 2021 soit 614 milliards de FCFA) tout en contribuant à réduire nos émissions de CO2 et à épargner les devises », souligne-t-il.
La politique d’import-substitution a échoué par le passé
Concernant la politique de l’import-substitution, l’expert explique que le choix de cette politique et la taille importante des ressources publiques qui y sont allouées est très contestable. Non seulement du point de vue du coût d’opportunité (l’investissement étant largement préférable), mais aussi de celui de l’efficience allocative. Car cette politique d’import-substitution a déjà fait la preuve de son échec au Cameroun par le passé (1960-1985). A l’en croire, ce choix assez problématique du gouvernement est surtout détestable parce qu’il est contraire à la première des orientations fondamentales de la SND30 intégrant le plan directeur d’industrialisation qui est le Mix entre import/substitution et promotion des exportations axées sur les neuf (9) sous-secteurs moteurs pour accélérer l’industrialisation du pays en mettant en avant la promotion de l’industrie manufacturière et le rattrapage technologique.
L’ingénieur financier rappelle ici que la vision du secteur industriel à l’horizon 2030 est de faire du Cameroun le commutateur (exportateur d’énergie électrique), le nourricier (exportateur des produits agro-industriels) et l’équipementier (exportateur des biens d’équipement notamment les meubles) de la CEEAC et du Nigéria.
L’expert condamne la baisse drastique du BIP
S’agissant de la préférence marquée pour les dépenses de fonctionnement en comparaison à celles d’investissement public, l’expert déplore le fait que le Budget d’investissement public (BIP) a dégringolé en partant de 28,4% du budget total en 2019 à seulement 18,4% en 2023 (soit une chute de 10% correspondant à 308 milliards de FCFA), alors que le budget de l’Etat a augmenté en valeur absolue sur la même période de 1133 milliards de FCFA et en valeur relative de 21,74%. « Le choix de la préférence des dépenses courantes en comparaison aux dépenses d’investissement est véritablement contestable parce qu’il confirme l’option pour l’inefficience allocative, le statut quo des structures productives, l’économie de rente ou des privilèges sans contrepartie et le cercle vicieux d’une croissance appauvrissante, c’est-à-dire pauvre en emplois et à peine supérieure à la croissance démographique », fait-il savoir.
04 mesures de sauvetage possibles et souhaitables
Face à ces choix qu’il estime problématiques et dangereux pour l’émergence du pays d’ici 2035, l’ingénieur financier propose au chef de l’Etat, Paul Biya, quatre mesures de sauvetage possibles et souhaitables. D’abord, que le président de la République définisse en urgence absolue un régime intelligible, lisible et prévisible de planification stratégique de l’Etat du Cameroun (loi sur le régime de la planification et de la programmation stratégiques au Cameroun). Ensuite, que le chef de l’Etat opte à « très court terme pour un subventionnement sélectif (uniquement pour les segments des opérateurs et agents économiques vulnérables) et proportionné des prix des carburants et du gaz qui permettraient de restaurer les ressources nécessaires à affecter pour l’investissement public ».
Puis, qu’il applique l’une des orientations fondamentales de la SND30 qui prescrit la politique du Mix exportations et import-substitution axé sur les neuf (9) sous-secteurs moteurs pour accélérer l’industrialisation du pays, « en mettant en avant la promotion de l’industrie manufacturière et le rattrapage technologique en alignement stratégique avec l’exploitation optimale des avantages de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) ». Et enfin, qu’il relève le BIP à un minimum de 40% du budget total de l’Etat, en rationalisant les subventions des carburants, en autorisant le démarrage du programme GNV, en réduisant et en optimisant le train de vie de l’Etat.
L’ingénieur financier pense que si ces mesures urgentes sont prises aujourd’hui, elles permettraient par exemple aux projets miniers et industries phares et prioritaires de la SND30 de retrouver la place qu’ils méritent, dans l’optique de la transformation structurelle de l’économie et de développement inclusif. « Une loi de finance rectificative serait alors l’instrument approprié pour les mesures de sauvetage du train de l’émergence du Cameroun », conclut-il.