lundi, 09 décembre 2024
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Léopold Nguiffo : « Les compagnies d’assurances ont tort de ne pas agir face aux hécatombes sur les routes du pays »

L’expert consultant senior en assurance et management stratégique, par ailleurs directeur général de Cauris Assurances (société de courtage d’assurances) , revient, dans cet entretien, sur le silence retentissant des compagnies d’assurances dans un contexte où les familles continuent d’être endeuillées depuis le début de l’année par des cas d’accidents de la circulation, faisant au passage de nombreux blessés ; tout comme il fait des propositions en vue d’une meilleure prise en charge des victimes et des familles en cette période difficile.

EcoFinances.Net (EFN) : Depuis janvier 2024, l’on a enregistré plusieurs cas d’accidents de la circulation sur les différents axes routiers du pays avec des pertes en vies humaines et de nombreux blessés. L’un de ces d’accidents a d’ailleurs coûté la vie à l’ancien Lion Indomptable Landry Nguemo. Comment réagissez-vous, en tant qu’assureur, à ces différents drames qui ne cessent d’endeuiller les familles depuis le début de l’année ?

Léopold Nguiffo (LN) : Merci de vous rapprocher de nous aux fins de recueillir notre sentiment, compte tenu du contexte un peu particulier marqué par une recrudescence des accidents de la circulation à travers le pays. On assiste depuis janvier dernier à une série d’hécatombes qui endeuillent les familles. Sur l’ensemble du territoire national, on n’a pas cessé d’enregistrer, ces derniers temps, des cas d’accidents de la route avec des conséquences dramatiques en terme de pertes en vies humaines, de blessés graves, mais aussi de dommages matériels. Parce qu’il y a des gens qui ont perdu la vie à la suite de ces accidents, comme vous faites bien de le relever.

On a d’ailleurs un célèbre footballeur international camerounais, l’ancien Lion Indomptable Landry Nguemo, qui est mort lors d’un accident sur la route Yaoundé-Bafoussam au mois de juin dernier. Ça ne peut laisser personne indifférent. Car avant d’être assureur, je suis d’abord un citoyen. Et je suis sensible à tous les événements malheureux qui peuvent émailler la vie quotidienne des Camerounais. Vous conviendrez avec moi que c’est une situation dramatique qui est même à la limite traumatisante pour le citoyen que je suis. Qui, face à toutes ces pertes enregistrées ne peut qu’être choqué.

On n’est pas loin de parler d’un drame social. Il y a même une psychose sociale aujourd’hui lorsque vous prenez la route, compte tenu de la fréquence et de la gravité des accidents. Et je compatirais d’abord en tant que citoyen. Car, en tant que citoyen de ce pays, c’est une situation qui ne me laisse pas indifférent. Je suis solidaire de la communauté nationale qui a montré sa solidarité et toute sa sollicitude dans ce contexte-là.

Maintenant, en tant qu’assureur, je suis encore plus interpellé. Parce que l’assureur a un rôle social. Son rôle social est d’ailleurs prééminent dans les raisons qui fondent l’existence des assureurs et des compagnies d’assurances. Parce que l’assureur est celui qui répare lorsqu’il y a eu préjudice. Et effectivement, nous assistons à une avalanche d’accidents, avec des conséquences matérielles et corporelles qui interpellent l’assureur ; étant entendu que l’assurance automobile est obligatoire au Cameroun, et que la plupart du temps, ces véhicules ont régulièrement souscrit leurs polices d’assurance.

EFN : Sauf qu’en dehors du déploiement très visible et palpable du ministère des Transports (MINT) qui, ces dernières années, se démarque par le lancement régulier des campagnes de renforcement  des mesures de prévention et de  sécurité routière, ainsi que par l’installation des systèmes de vidéosurveillance dans les bus et autres, l’on ne sent pas trop les compagnies d’assurances qui au niveau de leur association (ASAC) étaient pourtant actives sur le terrain  il y a quelques années , via le déploiement du pool TPV. Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce silence du côté des compagnies d’assurances ?

LN : Votre interpellation est fondée. Effectivement, on n’a pas l’impression que les assureurs soient particulièrement concernés par cette série d’accidents de la circulation que l’on observe depuis le début de cette année. Alors que, logiquement, les compagnies d’assurances devraient se retrouver en première ligne, pour organiser rapidement la prise en charge des victimes et limiter les effets de ces accidents de la circulation-là, à travers un accompagnement moral et psychologique des victimes.

Il faut le dire, ces véhicules sont assurés. Et il revient à l’assureur de prendre sa responsabilité. Soit la responsabilité de chaque compagnie d’assurances dont les véhicules couverts sont impliqués dans les accidents, ou la responsabilité de la profession à travers l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (ASAC) qui devrait interpeller ses membres à prendre leurs responsabilités face à ces événements-là. En leur demandant de se mobiliser et d’assumer leurs engagements contractuels et leurs engagements légaux.

Votre interpellation me paraît tout à fait justifiée. On n’a pas vu les assureurs se déployer même en amont. Parce qu’il faut le dire, les assureurs devraient apporter leur expertise dans les campagnes de prévention routière. Parce que moins il y a d’accidents, moins les assureurs sont exposés financièrement. Ils ont donc tout intérêt à apporter des contributions, soit en terme de campagnes de marketing ou en terme de déploiement des équipes en relation avec les forces de l’ordre et le ministère des Transports, pour sensibiliser les populations sur la nécessité du respect du code de la route. Cette absence ne peut qu’être déplorée. Je fais d’ailleurs le même constat que vous.

Vous avez parlé tout à l’heure du Pool TPV. Bien entendu, le Pool TPV est un organisme qui est une excroissance de l’ASAC dont la vocation est justement d’assurer la gestion des véhicules de transport en commun, de manière générale. Le Pool TPV assure la souscription des risques de transport de personnes voyageant dans des véhicules de transport public. C’est le Pool de Transport public des voyageurs (TPV). C’est un groupement d’assureurs dont la vocation c’est de gérer tout ce qui est transport public des voyageurs. C’est-à-dire, les véhicules qui assurent le transport public des voyageurs. Ça peut être les taxis, les autocars, les autobus, les véhicules d’auto-écoles, etc…Toutes ces assurances-là sont centralisées au niveau du Pool TPV qui en assure la gestion, la souscription, les polices et le règlement des sinistres.

Bien évidemment, c’est l’organisme qui devrait être en première ligne dans le contexte actuel. Vous l’avez si bien dit, on a, par le passé, vu le Pool TPV se déployer un peu partout. C’est-à-dire, procéder à l’identification des victimes, l’identification des compagnies d’assurances et passer des communiqués pour orienter les victimes vers les compagnies d’assurances qui auraient couvert les véhicules impliqués dans les accidents, indiquer même les modalités d’indemnisation en terme d’éléments à fournir par les victimes ou les ayant-droit des victimes. Mais cette absence nous laisse sans voix. On est médusés par cette indifférence généralisée des acteurs de l’industrie de l’assurance. Et vous comprenez sans doute ma surprise et mon étonnement.

EFN : Parlant justement du règlement des sinistres, certaines victimes et familles victimes d’accidents de la route se plaignent souvent du manque de célérité dans la gestion des dossiers. Pourquoi les assureurs ne se pressent-ils pas si souvent pour assister les victimes et les familles, selon vous ?

LN : Les dispositions réglementaires contenues dans le Code CIMA encadrent rigoureusement l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Je peux d’ailleurs vous donner quelques indications. Déjà, les autorités (gendarmerie, police) qui procèdent aux constatations ont un délai maximum de trois (03) mois pour transmettre leurs procès-verbaux (PV) de constat auprès des compagnies d’assurances. Et dès que celles-ci sont saisies, elles doivent présenter les offres d’indemnisation aux victimes. C’est prévu par le Code CIMA. Une fois qu’elles sont en possession des PV, les compagnies d’assurances doivent aller à la recherche des victimes. C’est-à-dire que lorsqu’elles ont reçu les procès-verbaux, avec les identités des victimes, elles doivent faire des communiqués-radio-presse pour inviter les victimes à se présenter à leurs bureaux, dans la mesure du possible. Et les aider à monter les dossiers d’indemnisation.

Pour une victime d’accident de la circulation, une fois qu’elle est consolidée, elle devrait pouvoir recevoir son indemnisation. La durée peut être variable, mais la compagnie d’assurances devrait aussi délivrer des bons de prise en charge de manière diligente. Parce que l’indemnisation commence également au niveau de la capacité pour la victime de se soigner après l’accident. Beaucoup de personnes meurent après les accidents, faute de soins et de moyens. Donc, l’assureur doit, dans un premier temps, délivrer des bons de prise en charge au profit des victimes d’accidents corporels de circulation dans les différentes formations sanitaires, pour veiller à ce qu’elles soient prises en charge de manière diligente. Et effectivement, une fois qu’elles sont consolidées, tel que c’est matérialisé par le certificat médical final, l’assureur procède à la libération de l’indemnité qui est prévue et qui est calculée conformément au code des assurances et aux barèmes prévus par le code des assurances.

Mais je pense que c’est un problème de professionnalisme des compagnies d’assurances. Certaines sont généralement plus diligentes que d’autres, il faut le reconnaître. Mais c’est d’abord un problème de professionnalisme et de respect des règles éthiques et déontologiques de la profession. Les phénomènes des sinistres qui se règlent au-delà de plusieurs années sont à déplorer et à dénoncer. Mais si les assureurs sont diligents, ils devraient, dans des délais très courts, parce qu’ils ont les moyens (humains, financiers et logistiques) nécessaires, régler les sinistres en trois ou six mois. Pour les ayants-droit d’une victime décédée, le Code CIMA a prévu un délai maximum de huit (08) mois pour les indemniser. Les victimes corporelles, c’est après la consolidation. Une fois que vous êtes consolidé, l’assureur doit vous indemniser dans un délai maximum qui ne doit pas dépasser soixante (60) jours.

Léopold Nguiffo, DG de Cauris Assurances : « On n’a pas l’impression que les assureurs soient particulièrement concernés par cette série d’accidents de la circulation que l’on observe depuis le début de cette année. Alors que, logiquement, les compagnies d’assurances devraient se retrouver en première ligne, pour organiser rapidement la prise en charge des victimes et limiter les effets de ces accidents de la circulation-là, à travers un accompagnement moral et psychologique des victimes ».

EFN : Une étude récente renseigne que pour un chef de famille disparu dans le cadre d’un accident de la circulation, la famille qu’il laisse tombe dans la misère pour au moins 22 ans. Que peuvent faire les compagnies d’assurances pour mieux accompagner les familles, au moins sur une durée relativement acceptable ?

LN : Vous soulevez peut-être un problème qui n’est pas encore adressé par les assureurs. Parce que jusqu’ici, les assureurs se contentent de libérer les chèques au profit des ayants-droit. Quand le chef de famille décède, il y a des personnes qui ont droit à une indemnisation. C’est prévu par le code. Les ayants-droit sont bien identifiés dans le code des assurances. Ce seront notamment les descendants, les conjoints et les ascendants, ainsi que les collatéraux.  Leur qualité est très bien circonscrite dans le code des assurances.

Maintenant, il faudrait peut-être que les assureurs aillent un peu plus au-delà en s’impliquant, un peu comme on le fait à la loterie en Occident où, lorsque vous avez reçu un gros lot à la loterie, les sociétés de loterie apportent des conseils en matière de gestion financière aux gagnants, afin de leur éviter des mauvaises fortunes, à travers des placements ou investissements foireux.

Votre question permet d’interpeller l’industrie des assurances pour qu’elle puisse réfléchir sur des mécanismes d’accompagnement. Parce que vous êtes libre de disposer de votre argent, selon votre bon vouloir. Maintenant, si vous avez reçu cet argent et que vous l’avez mal disposé, effectivement, vous pouvez rapidement tomber dans le dénuement.

EFN : Ces différents cas d’accidents que l’on enregistre pourraient-ils impacter le chiffre d’affaires ou la santé financière des compagnies d’assurances ?

LN : En fait, moins il y a d’accidents, mieux les compagnies d’assurances se portent. Ça c’est une réalité. Si la sinistralité est faible, la rentabilité est meilleure. L’assureur est un spécialiste de la gestion des risques. La sinistralité peut être faible à une époque, et être entièrement dégradée à une autre. L’assureur gère l’aléa. Les phénomènes aléatoires sont tels qu’à un moment donné la conjoncture peut être favorable, et elle est plutôt défavorable à un autre.

Parlant des assurances automobiles, si les règles de la circulation routière sont respectées par les usagers, il est clair qu’on assistera à une chute des accidents de la circulation. Et par conséquent à une amélioration conséquente de la branche. Parce que l’assurance ce n’est pas que l’automobile.  Si vous prenez les résultats 2023 publiés récemment par l’ASAC, vous verrez que la branche automobile c’est 30 à 35% du chiffre d’affaires des compagnies d’assurances. Et tout cela rentre dans la mutualité. Pour dire que cette branche pourrait avoir une meilleure rentabilité. Mais comme je le dis, les jours heureux s’enchaînent avec les jours malheureux. Mais, les assureurs gagneraient à s’impliquer en amont dans tout ce qui est prévention routière et dans la sensibilisation. Parce qu’au final, la vie n’a pas de prix. *

EFN : Quel est le rôle des courtiers auprès des compagnies d’assurances et des assurés, dans le contexte actuel qui se caractérise par la récurrence des accidents de la route ?

LN : Pour les assurés, propriétaires de véhicules, qui ont des courtiers comme conseils, ces courtiers doivent organiser la prise en charge rapide des victimes. Parce qu’étant celui qui a placé l’assuré auprès de la compagnie d’assurances, il a un meilleur relationnel avec le client ou l’assuré. Ce qui fait qu’il va rapidement organiser la prise en charge et défendre les intérêts des victimes et des ayants-droit. Et même de l’assuré auprès de la compagnie. C’est à ce niveau que le courtier joue un rôle essentiel.

Mais naturellement, s’il y a des clients qui sont assurés aux guichets des compagnies, il reviendrait donc à ces compagnies d’organiser elles-mêmes les modalités de prise en charge de ces victimes-là. Il sera par conséquent difficile pour un courtier d’intervenir. Mais pour les clients qui ont été assurés par les courtiers, les choses sont beaucoup plus simples pour eux. Parce que le courtier étant un professionnel de l’assurance, tout comme la compagnie, il va rapidement organiser la prise en charge des victimes et leur indemnisation qui sera fera dans un délai beaucoup plus court.

Parce que le courtier sait exactement ce qu’il faut faire et comment il va le faire. Et il le fera dans l’intérêt du client, parce que le courtier est le spécialiste de la gestion clientèle. Et à ce moment-là, il s’agit d’un problème de la gestion clientèle. On pourrait même parler de la gestion du service après-vente à la clientèle. Et à c’est niveau que le courtier va se déterminer, pour démontrer à son client qu’il n’a pas eu tort de le solliciter ou de l’accompagner comme conseil auprès de la compagnie d’assurances.

EFN : Un mot de la fin pour sensibiliser les compagnies d’assurances afin qu’elles s’impliquent davantage dans la gestion des cas d’accidents de la route qui endeuillent les familles depuis le début de l’année ?

LN : Evidemment ! J’aimerais conclure en soulignant qu’il faudrait que les assureurs se mobilisent vraiment pour apporter de leur émotivité et de leur solidarité dans le contexte actuel, qui est caractérisé par des hécatombes sur nos routes. Qu’ils jouent pleinement le rôle qui est le leur ! Ils ont un rôle financier, en ce sens qu’ils doivent indemniser les victimes. Ils ont un rôle social, en ce sens que cette indemnité permet aux victimes de se reconstruire.

Et en tant qu’acteur économique, et dans le souci de la mise en œuvre de leur Responsabilité sociale et sociétale (RSE), ils devraient agir auprès des autorités pour accompagner ces dernières dans le cadre des campagnes de prévention et de sécurité routière. Et pourquoi pas ? Allez au-delà de ces actions, en fournissant des équipements qui permettraient d’assurer un meilleur balisage des voies. C’est cela la Responsabilité sociale et sociétale des entreprises ! Je pense surtout que les assureurs ne devraient pas se mettre en marge des évolutions modernes des entreprises dans une société.

Par ailleurs, le ministère des Finances (Minfi), qui est le régulateur, doit taper du poing sur la table en demandant aux assureurs de se mettre en mouvement. En tant que tutelle, le Minfi a la responsabilité de mobiliser les assureurs et de leur demander d’intervenir rapidement et même de lui rendre compte des actions qui sont menées. Parce que nous sommes ici face à ce qu’on appelle les grands sinistres. On a des accidents où l’on parle de cinq, dix morts voire plus. C’est grave !

Il s’agit vraiment de sinistres de grande ampleur. Et le Minfi devrait interpeller l’ASAC afin que celle-ci mette en branle ses membres, pour que, rapidement, chacun d’eux fasse le point des accidents qui le concerne et que les victimes soient rapidement prises en charge. Au-delà de l’ASAC, le Minfi doit agir de manière rapide pour que les compagnies puissent se mettre en branle. Le Minfi doit même déployer des contrôles auprès des compagnies pour vérifier l’effectivité des prises en charge des victimes d’accidents de la circulation, dans le contexte qui est le nôtre et de manière permanente

Propos recueillis par Joseph Roland Djotié

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