jeudi, 21 novembre 2024
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Armel Fotso, co-fondateur de la startup Kuruba : « Nous avons réussi à attirer plus de 200 marques et référencer plus de 3000 produits en avril et décembre 2022 »

Vice-président du Groupement des professionnels du e-commerce au Cameroun (Gpecom), le co-fondateur de Kuruba (startup spécialisée dans le commerce électronique B2B) revient, dans cette interview, sur les enjeux du commerce électronique en Afrique, tout comme il profite de la tribune qui lui est offerte pour lever un pan de voile sur les performances de la startup immatriculée à Londres en janvier 2022 et opérant en Afrique, principalement au Cameroun depuis avril dernier.

EcoFinances.net : Bonjour Armel Fotso. Vice-président du Gpecom, qui est le Groupement des professionnels du e-commerce au Cameroun, vous êtes l’ancien directeur juridique de Jumia et désormais co-fondateur de Kuruba.  Pouvez-vous d’entrée de jeu expliquer à nos lecteurs ce que c’est Kuruba?

Armel Fotso : Kuruba est une startup spécialisée dans le commerce électronique B2B (Business to Business) immatriculée à Londres en Janvier 2022 et opérant en Afrique, mais principalement au Cameroun depuis avril 2022. C’est une des startups disposant du plus fort potentiel dans le secteur sur le continent, notamment en raison de la qualité de notre équipe dirigeante, qui comporte de véritables spécialistes du commerce électronique.

EFN : Comment se porte actuellement la startup Kuruba?

AF : Très bien ! Nous connaissons une croissance forte, qui a d’ailleurs assez rapidement dépassé nos prévisions. Notre stratégie au lancement a consisté à valider d’abord le PMF (Product Market Fit), en ciblant uniquement deux (02) quartiers de Douala. Les chiffres nous ont montré la profondeur du marché et la parfaite adéquation entre notre offre et les besoins du marché.

EFN : Quels sont ces chiffres ?

AF : Entre avril et décembre 2022, nous avons stabilisé une GMV (Gross Merchandise Volume ou Volume d’affaires) supérieure à 200 000 dollars US (près de 124 millions de FCFA) par mois et enregistré plus de 1000 commandes. Nous avons réussi à attirer plus de 200 marques et à référencer plus de 3000 produits. Cela renseigne sur la marge de progression.

EFN : Avec de tels chiffres, on se demande pourquoi Jumia  (entreprise de commerce en ligne fondée en 2012 et présente sur le marché africain) a échoué  au Cameroun, alors que vous en étiez déjà les dirigeants. Et au-delà, pourquoi les acteurs du e-commerce échouent au Cameroun là où vous semblez avoir la solution ?

AF : Déjà, c’est un peu facile de dire que Jumia a échoué (rires). Il y a toutes sortes de commentaires sur le départ de Jumia en 2020, mais la situation est bien plus complexe qu’un trivial débat entre succès et échec. Je ne souhaite pas m’étendre sur ce cas spécifique. En revanche, on peut parler de l’environnement général du e-commerce au Cameroun.  Le Cameroun a un potentiel immense. Au moment du départ de Jumia, le Cameroun était classé 10ème potentiel en Afrique par la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), et reste encore très haut au classement aujourd’hui. Le taux de pénétration d’internet est de 37%, pour environ 09 millions d’internautes. La population est jeune. Environ 65% de la population a moins de 25 ans. C’est là un gros réservoir de croissance pour le e-business. Néanmoins à côté de ces éléments, il y en a qui ne favorisent pas le e-commerce notamment des biens. Les acteurs qui se sont succédés au Cameroun ont tous fait du e-commerce en mode B2C (Business to Consumer). Ce mode impose des coûts opérationnels très importants, parce que la logistique coûte très chère pour diverses raisons qu’on n’a pas le temps d’évoquer. Le poids de la fiscalité y est aussi pour beaucoup.

EFN : Mais le gouvernement a accordé des avantages fiscaux aux startups depuis 2020…

AF : C’est vrai. Mais le système mis en place n’est pas efficace. Je l’ai analysé dans un article qui paraîtra dans quelques jours dans une revue de management. Vous pourrez le lire pour avoir des détails. Tenez, intéressons-nous un peu à la fiscalité des opérations. L’imposition des opérations du e-commerce à 19,25% de TVA augmente de cette même valeur le prix des articles achetés en ligne. Or, le marché est en phase embryonnaire. Mais on a importé la question de la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée), qui se posait sur les marchés de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui sont à un tout autre niveau de maturité. Plusieurs pays africains ont d’ailleurs commis la même erreur. Mais la différence c’est que nos marchés sont encore en phase quasi embryonnaire et les entreprises travaillent encore sur la bascule comportementale, qui fera migrer le consommateur de la consommation traditionnelle à la e-consommation. Mais si vous avez cette TVA et que vous avez des coûts logistiques très importants, vous avez le coût des moyens de paiement électronique qui ont augmenté récemment.  Même s’il est vrai que sur notre marché environ 93% des paiements se font encore en POD (Payment on Delivery), et bien d’autres soucis… Vous avez donc là un cocktail copieux pour compliquer la tâche des entreprises qui se lancent dans le domaine. Ce sont donc à mon avis des raisons surtout structurelles, puisque liées directement aux opérateurs qui se succèdent.

Armel Fotso, co-fondateur de Kuruba : « Entre avril et décembre 2022, nous avons stabilisé une GMV (Gross Merchandise Volume ou Volume d’affaires) supérieure à 200 000 dollars US (près de 124 millions de FCFA) par mois et enregistré plus de 1000 commandes ».

EFN : Mais pourquoi Kuruba semble mieux  s’en sortir dans ce cas?

AF : Pour la simple raison que nous avons pris le temps de comprendre le marché dans ses moindres détails. Par exemple, nous avons opté pour du B2B là où les autres font du B2C. C’est le business model le plus connu quand on a des connaissances basiques du e-commerce. La vérité c’est que la structure des coûts opérationnels complique sérieusement la rentabilité de ce modèle là au Cameroun. Je parle ici du B2C. Mais attention ! Ce n’est absolument pas pour dire que c’est impossible. Il faut juste faire très attention aux différents KPI (Key Performance Indicator, en anglais, ou Clé de Performance, en français). Ce que je peux dire globalement c’est que Kuruba est sur un modèle différent. Elle a la meilleure équipe dirigeante possible sur le marché. Ce n’est pas vraiment le lieu d’évoquer nos stratégies, mais les chiffres parlent d’eux même. D’ailleurs, au niveau du Gpecom, nous faisons également du lobbying pour déclencher une dynamique plus globale pour tout le marché.

EFN : Comment évolue, selon vous, la situation de l’économie numérique sur le continent ?

AF : Disons que nos batailles commencent à porter des fruits très intéressants. Si on s’intéresse aux chiffres des levées de fonds réalisées par les startups en 2022, il y a de quoi être optimiste. Les startups ont levé au total 5, 3 Milliards de dollars en 2022. C’est 5,4% de plus que 2021. Et on ne parle que des levées supérieures à 01 million de dollars US. En revanche, la distribution géographique de ces levées révèle de profondes disparités. Tenez, le Nigéria, l’Egypte, le Kenya et l’Afrique du sud, qu’on appelle le “Big four”, ont à eux seuls captés 3,6 milliards, soit 74,47% des sommes levées sur tout le continent. Vous remarquerez aussi que ces 04 pays sont tous des pays anglophones.

Si l’on observe singulièrement la zone sub-saharienne francophone, nous n’avons attiré que 326,97 millions de dollars. Ce sont des montants importants, mais mis en perspective avec le total des levées sur le continent, il y a matière à réfléchir sur le sujet. J’ai d’ailleurs engagé avec une amie en Algérie, Maya, qui est CEO d’une startup qui s’appelle Izya, une réflexion pour mettre sur pied une initiative pour attirer plus de capitaux notamment francophones et arabes dans les startups des pays francophones. D’ailleurs, j’en profite pour lâcher mon mail fotso.armel@ymail.com au cas où quelqu’un voudrait partager avec nous des idées, ou des investisseurs qui seraient intéresser.

EFN : Quel est le poids du Cameroun dans ces levées de fonds ?

AF : Le Cameroun se comporte plutôt bien sur le marché des levées, même si on peut faire tellement mieux. L’année dernière, en ne considérant que les startups qui ont levé plus d’un million de dollars, nous sommes deuxième en Afrique francophone au sud du Sahara, avec 10,7 millions de dollars levés, derrière la Côte d’Ivoire avec ses 34,4 millions de dollars mobilisés.

Par contre, si le Cameroun s’en tire plutôt bien, il y a une donnée qu’il faut suivre. C’est le nombre de startups qui lèvent des fonds. En 2022, nous n’avons pu placer que 02 startups dans ce classement. Il faudrait que plus de startups arrivent à lever des fonds pour que le secteur soit plus dynamique.

EFN : Les statistiques de 2022 montrent que l’Afrique centrale attire très peu de capitaux

AF : Oui en effet, c’est une de mes grandes préoccupations. Si l’on considère l’Afrique centrale à l’échelle de la CEMAC, il n’y a eu que 2 due diligences qui ont débouché sur des levées fonds supérieures à 1 million de dollars, et un seul pays ayant levé des fonds. Si on étend l’Afrique centrale à la CEEAC, la situation n’est pas beaucoup mieux. Il n’y a que le Rwanda qui s’y rajoute avec une seule opération à 1,8 million. Globalement c’est toute l’Afrique francophone qui est à la traîne.

EFN : Est-ce que la startup Kuruba ambitionne de lever des fonds en 2023 ?

AF : Oui, 2023 c’est l’année où nous allons scaller. Déjà, nous allons couvrir tout le Cameroun. Et ensuite, nous allons dupliquer notre modèle sur un (01) marché extérieur pour démarrer notre projection sur le reste du continent. C’est une année très importante pour nous. 

EFN : Merci Armel !

AF : C’est moi qui vous remercie.

Propos recueillis par EcoFinances.net

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