(EcoFinances) – Placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Kondengui le 04 mai 2018, Emmanuel Leubou, l’ancien chef de la Cellule informatique du ministère des Finances (Minfi), qui a pourtant dénoncé un vaste réseau de fraudeurs au ministère des Finances, continue de clamer son innocence dans le cadre de l’affaire qui l’oppose au ministère public. Dénonciation qui porte sur des cas de suppressions frauduleuses des remboursements des prêts contractés par des fonctionnaires et des retraités pour environ 5,5 milliards de francs.
Certains n’ont pas hésité à faire circuler récemment la rumeur selon laquelle il aurait été condamné à 104 ans de prison. Ce qui est évidemment faux, puisqu’aucune deux (02) procédures judiciaires qui le concernent au Tribunal criminel spécial (TCS) n’est jamais allée à son terme. Dans une interview accordée fin mars dernier au journal Kalara, l’un des prisonniers les plus célèbres du pays réitère qu’il est « en prison pour rien ».
A l’en croire, les annulations frauduleuses des remboursements des prêts contractés par des fonctionnaires et retraités se faisaient déjà entre 2011 et 2014 (affaire qui a d’ailleurs fait grand bruit au Minfi à l’époque), mais lorsqu’il décide de dénoncer cette situation en 2016, certains responsables du Minfi lui ont fait savoir qu’il s’attaquait à plus fort que lui. « J’en veux pour preuve le fait que les bénéficiaires et leurs complices sont libres pendant que je suis en prison », explique-t-il.
Audit
Informé des cas de fraudes au sein de son département ministériel, le ministre des Finances crée un premier groupe de travail en 2014 chargé d’auditer les annulations des remboursements des avances sur solde et avances sur pension perpétrées par le « User » 01X (information qui identifie un utilisateur dans l’application Antilope). L’audit portait sur la période 2011, 2012, 2013. Il permettra de dresser, apprend-on, un rapport d’environ 157 pages confirmant que les annulations ont été effectuées par le « User » 01X. « En guise de résultat, le rapport dit que les avances de solde et sur pension ne sont pas systématiquement enregistrées préalablement à la Sous-direction de la liaison et du courrier », indique Emmanuel Leubou.
Avant d’ajouter : « En 2011, 2012 et 2013, sur les 2807 avances de solde et avances sur pension pour une valeur de 2.143.464.914 de francs, seuls 243 avances de solde et avances sur pension ont connu une reprise de remboursement. Cela veut dire que sur 2807 remboursements suspendus frauduleusement, et malgré le fait que le Minfi a demandé le repositionnement, seuls 243 cas ont été repositionnés ».
Après l’audit réalisé par ce premier groupe de travail, le Minfi va créer le 17 mai 2017 un second groupe de travail à l’initiative de l’ex chef de la Cellule information au Minfi. L’objectif étant toujours de faire la lumière sur les annulations des remboursements des avances sur solde et avances sur pension perpétrées par le « User » 01X. Mais il en sera vite écarté, apprend-on.
Au mauvais endroit, au mauvais moment
« C’est moi qui ai initié la création de ce groupe de travail et j’en étais le rapporteur. Je pense que l’on m’a éloigné de ce groupe de travail en me mettant en détention pour m’empêcher de poursuivre ma mission. Après l’audit de 2014 instruit par le ministre des Finances, l’affaire n’a pas été portée devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Il a fallu que j’arrive et qu’en 2016 je fasse le constat que les annulations continuent et que je les dénonce pour que l’affaire soit transmise au TCS et que l’on me mette sous mandat de dépôt », fait-t-il savoir.
Tout comme il ajoute : « Le moins qu’on puisse dire, c’est que je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. S’il est vrai que cette situation est difficile à comprendre, il n’en demeure pas moins que la présente affaire suscite de nombreuses curiosités et interrogations ».
Curiosités
D’après Emmanuel Leubou, l’affaire qui l’oppose au ministère public comporte plusieurs curiosités. Première curiosité, l’audit de 2014 reconnaît que les annulations des remboursements des avances de solde et avances sur pension ont été effectuées par le « User » 01X. « En 2016, les annulations continuent et c’est le même User qui opère. Cette vérité constante est confirmée par l’expert commis par le juge d’instruction du TCS en 2018. Lorsqu’on sait que ce User appartient à Mme Lefang Celestina Nkeng, d’où vient-il qu’elle comparaît libre alors que moi je suis en détention et pourtant au moment de ma mise en détention, j’étais Chef de la Cellule Informatique de la Ddpp domicilié à Nkolfoulou marié. On se serait attendu que je bénéficie de cette même faveur de comparaître libre. Mais on a estimé que je suis un élément dangereux à surveiller de près », déclare-t-il.
Deuxième curiosité, c’est à travers le journal «Kalara» dans son édition 315 du 7 octobre 2019 qu’il apprend que le juge d’instruction du TCS a émis un mandat d’arrêt contre Mme Lefang, qui est resté infructueux. « Et pourtant, tout le monde sait qu’elle est en service à la perception de Mvog-Mbi », souligne-t-il. Troisième curiosité, les multiples demandes de certification des documents qu’il a prévu de produire pour sa défense sont restées lettres mortes jusqu’à ce jour.
Quatrième curiosité, devant le Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS, il a, apprend-on, proposé en vain que l’on convoque quelques bénéficiaires de cette fraude. « Le témoin Moungang Jacques a fait la même proposition ce d’autant plus qu’au rang des bénéficiaires, on compte des hauts cadres de l’administration parmi lesquels les professeurs certifiés de Lycée, les officiers de l’armée et autres. En vain », explique l’ex patron de la Cellule informatique du Minfi.
Cinquième curiosité, dans les listes des annulations qu’il produites à l’enquête préliminaire, l’on retrouve les matricules, noms, prénoms et grades des bénéficiaires ainsi que les montants perçus. Tandis que dans la liste produite par l’expert commis par le TCS, les noms, prénoms et grades ne figurent pas. « Etait-ce une recommandation du juge d’instruction ou une volonté délibérée de l’expert de cacher ces informations importantes qui auraient permis d’identifier facilement les bénéficiaires de la fraude ? », s’interroge-t-il
Et enfin, sixième curiosité, Sieur Leubou dit avoir personnellement dénoncé Mme Aissatou Bouillo Bouba (accusée remise en liberté pour avoir bénéficié d’un arrêt des poursuites). « Car, en sa qualité de chef de la Cellule Sigipes du ministère de la Communication au moment des faits, elle était censée mener le même combat que nous pour l’assainissement du «Fichier Solde». Malheureusement, elle s’est livrée à la délinquance. Elle a perçu trois avances de solde dont les remboursements ont été suspendus, annulés frauduleusement. Et, en plus de cela, une avance sur pension alors qu’elle était en activité. Elle ne m’a rien donné, elle que je connaissais et encore moins les autres bénéficiaires. Je suis ici pour rien », souligne-t-il.
Bureau cassé, domicile cambriolé
Rappelons qu’après sa mise en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui le 04 mai 2018, son bureau a été cassé par des personnes non-identifiées qui ont, apprend-on, emporté avec eux plusieurs documents et des disques durs comportant des preuves de ces cas de fraudes au Minfi. « A mon avis, ils savaient que j’allais être placé sous mandat de dépôt et il fallait me dépouiller de tous mes moyens de défense. Ils ont emporté deux disques durs externes contenant les sauvegardes que j’effectuais tous les mois après le calcul consolidé de la solde de janvier 2015, date de ma nomination, à avril 2018, date de la dernière solde que j’ai traitée. En plus, ils ont emporté une chemise contenant des « demandes de travail » qui me parvenaient de la sous-direction de la gestion », explique-t-il.
Tout comme il renseigne que trois jours après, deux individus cagoulés, profitant de l’absence de son épouse se sont introduits dans son domicile à Nkolfoulou et ont passé la maison au peigne fin. « Ils étaient à la recherche des documents et ils l’ont dit à la ménagère. Ils ont emporté des documents dont je ne saurais dresser la liste », conclut-il, précisant que pour préparer sa défense, il a pu retrouver avec beaucoup de peines quelques photocopies à la Direction de la police judiciaire (DPJ).